travaux de Jacques Derrida
La déconstruction [modifier]
Article connexe : Déconstruction.
Derrida a la réputation d'être un écrivain difficile, exigeant pour son lecteur, même pour des philosophes. Son style est dense, il pratique de nombreux jeux de mots et affectionne les allusions. Sa lecture, souvent déconcertante et nécessitant de nombreuses relectures, révèle des ouvertures sur l'avenir de la philosophie. Sa remise en cause d'Husserl et plus largement de la philosophie occidentale le conduit à déconstruire l'approche phénoménologique : pour lui, l'écrit a longtemps été négligé au profit de la parole. Il fait alors la chasse aux impasses méthodologiques. Ce travail prend place dans l'introduction de l'Origine de la Géométrie.
De Platon (Phèdre) à Rousseau et Lévi-Strauss, il dénonce la primauté traditionnelle de la parole, conçue comme « vie » et « présence », sur l’écriture[réf. nécessaire]. Il désigne ce système métaphysique comme logocentrisme, voire phallogocentrisme[réf. nécessaire]. Il « déconstruit » donc la métaphysique occidentale, fondée sur la détermination de l’être en tant que présence, en mettant à jour les présupposés qui la sous-tendent et les apories auxquelles elle mène.
En particulier, il s'agit de découvrir, dans les textes de la tradition, l'articulation binaire de concepts que la métaphysique prétend distinguer dans leur pureté :
- Présence / absence ;[réf. nécessaire]
- Phénomène / essence ; intelligible / sensible, réalité / apparence ;[réf. nécessaire]
- Parole / écriture ; nature / culture ; artifice / authenticité ; masculin / féminin...[réf. nécessaire]
Chacune de ces oppositions est complice des autres et constitue un ensemble de valeurs qui dépassent le cadre philosophique : cette binarité est proprement politique[réf. nécessaire] et dévalorise systématiquement l'un des termes, pensé comme « accident », « parasite », « excrément ».
Or, le langage, même oral, ne signifie qu’en impliquant mort ou absence du référent[15] : l'itérabilité qui fonde la possibilité du signe inscrit à même celui-ci la coupure de son « origine », la décontextualisation, l'absence du locuteur. Le sens suppose en son cœur absence de référent et de la conscience, car il se déploie dans l’intervalle qui les sépare, dans la convention linguistique qui rend tout signe par définition détachable de son contexte.
Cependant, le travail de la déconstruction assume de ne jamais se libérer pleinement de ce qu’elle démystifie[réf. nécessaire] : elle travaille à même les concepts, en joue pour les jouer contre eux-mêmes, cherche à déplacer les oppositions sans prétendre les anéantir.
Le désir de présence qui habite le désir de sens (que la chose visée soit donnée en tant que telle dans la visée) est contradictoire, puisque le sens n'émerge que dans sa « mortifère »[réf. nécessaire] itérabilité.
Derrida éprouve un cœur d’opacité au cœur du rationnel, identifié comme défaut nécessaire et originaire de présence, comme écart originaire.
Il s’agit, selon François-David Sebbah[réf. nécessaire], d’éprouver et non de produire des résultats positifs.
La trace [modifier]
L'écriture a été dévalorisée, car matérielle mais source d'erreur : en inscrivant une trace coupée de son énonciateur, elle se détache de la vive voix, seule source de vérité.[réf. nécessaire]
La dissémination [modifier]
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Le don [modifier]
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L'événement [modifier]
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La question de l'« animal » [modifier]
L'« animalité » est pour le philosophe une question sensible et centrale de la déconstruction et de son œuvre [16], ne serait-ce parce qu'elle met en jeu l'hypothétique « propre de l'homme » [16] construit par la métaphysique et la théologie occidentales au cours des derniers siècles ; le terme « animal », au singulier, est rejeté par Derrida dans sa généralité, – parce qu'il est une « simplification conceptuelle » vue comme un premier geste de « répression violente » à l'égard des animaux de la part des hommes, et qui consiste à faire une césure totale entre l'humanité et l'animalité, et un regroupement tout aussi injustifié entre des animaux qui demeurent des vivants radicalements différents les uns des autres, d'une espèce à une autre [16] :
« Chaque fois que « on » dit « L'Animal », chaque fois que le philosophe, ou n'importe qui, dit au singulier et sans plus « L'Animal », en prétendant désigner ainsi tout vivant qui ne serait pas l'homme (...), eh bien, chaque fois, le sujet de cette phrase, ce « on », ce « je » dit une bêtise. Il avoue sans avouer, il déclare, comme un mal se déclare à travers un symptôme, il donne à diagnostiquer un « je dis une bêtise ». Et ce « je dis une bêtise » devrait confirmer non seulement l'animalité qu'il dénie mais sa participation engagée, continuée, organisée à une véritable guerre des espèces. »
— L'animal que donc je suis, Jacques Derrida.
L'animal que donc je suis est d'ailleurs le dernier ouvrage de Jacques Derrida, publié à titre posthume et édité par Marie Louise Mallet à partir de textes, d’enregistrements de conférences. Il y conduit une critique de la pensée de Descartes, de Kant, Lévinas, Lacan et Heidegger, et y rappelle la question du philosophe anglais Jeremy Bentham, qu'il considère essentielle, au sujet des animaux : « peuvent-ils souffrir ? » (qui revient à dire, pour Derrida « Peuvent-ils ne pas pouvoir ? (...) Pouvoir souffrir n'est plus un pouvoir, c'est une possibilité sans pouvoir, une possibilité de l'impossible »[17]) :
« « Can they suffer ? », la réponse ne fait aucun doute. Elle n'a d'ailleurs jamais laissé aucun doute ; c'est pourquoi l'expérience que nous en avons n'est pas même indubitable : elle précède l'indubitable, elle est plus vieille que lui. Point de doute, non plus, pour la possibilité, alors, en nous, d'un élan de compassion, même s'il est ensuite méconnu, refoulé ou dénié, tenu en respect. Devant l' indéniable de cette réponse, (oui, ils souffrent, comme nous qui souffrons pour eux et avec eux), devant cette réponse qui précède toute autre question, la problématique change de sol et socle.(...) Les deux siècles auxquels je me réfère un peu grossièrement pour situer notre présent à cet égard, ce sont les deux siècles d'une lutte inégale, d'une guerre en cours et dont l'inégalité pourrait un jour s'inverser, entre, d'une part, ceux qui violent non seulement la vie animale mais jusqu'à ce sentiment de compassion et, d'autre part, ceux qui en appellent au témoignage irrécusable de cette pitié.[17] »
— L'animal que donc je suis, Jacques Derrida.
Derrida voit dans les rapports de l'homme avec l'animal une « guerre » qu'il faut désormais penser [17], du fait même des « proportions sans précédent de cet assujettissement de l'animal » [17] né « de la violence industrielle, mécanique, chimique, hormonale, génétique, à laquelle l'homme soumet depuis deux siècles la vie animale » [17], violence à l'encontre des animaux comparée par le philosophe à la Shoah, même si :
« De la figure du génocide il ne faudrait ni abuser ni s'acquitter trop vite. Car elle se complique ici : l'anéantissement des espèces, certes, serait à l'œuvre, mais il passerait par l'organisation et l'exploitation d'une survie artificielle, infernale, virtuellement interminable, dans des conditions que des hommes du passé auraient jugées monstrueuses, hors de toutes les normes supposées de la vie propre aux animaux ainsi exterminés dans leur survivance ou dans leur surpeuplement même.[17] »
— L'animal que donc je suis, Jacques Derrida.
Le philosophe affirme que cet « assujettissement sans précédent de l'animal » a été finalisé conceptuellement par l'idéalisme transcendantal qui désire la maîtrise totale de la nature et de l'« animal » par l'homme et à ses seuls fins, et, s'appuyant sur l'œuvre de Theodor W. Adorno, fait valoir la « fascisation du sujet » par la haine ontologique de l'« animal » kantien :
« Pour un système idéaliste, les animaux jouent virtuellement le même rôle que les Juifs pour un système fasciste, dit-il [Adorno]. Les animaux seraient les Juifs des idéalistes qui ne seraient ainsi que des fascistes virtuels. Et ce fascisme commence quand on insulte un animal, voire l'animal dans l'homme. L'idéalisme authentique consiste à insulter l'animal dans l'homme ou à traiter un homme d'animal. (...) Adorno ne va pas jusqu'à dire que l'idéaliste insulte l'animal, mais il insulte le matérialiste ou il insulte l'homme en le traitant d'animal, ce qui implique que « animal » est une insulte. »
— L'animal que donc je suis, Jacques Derrida.
La haine idéaliste à l'encontre des animaux (ou plutôt de l'« animal »), correspond pour Derrida au schème d'une même logique, celle de la « haine du Juif (...) haine de la féminité, voire de l'enfance [17] ». Prenant appui sur ce dévoilement de la haine de l'« animal » par l'idéalisme, Kant, Jacques Derrida critique d'ailleurs tous les sous-entendus qui attaque « la remise en cause de l'axiomatique humaniste au sujet de l'animal », citant la philosophe Elisabeth de Fontenay (préface aux Trois traités pour les animaux de Plutarque ) :
« Manque de chance pour ceux qui n'évoquent la Summa Injuria [allusion à une improbable zoophilie nazie et au soi-disant végétarianisme hitlérien] que pour mieux se moquer de la pitié envers la souffrance anonyme et muette, il se trouve que de très grands écrivains et penseurs juifs de ce siècle auront été obsédés par la question animale : Kafka, Singer, Canetti, Horkheimer, Adorno. Ils auront, par l'insistance de son inscription dans leurs œuvres, contribué à interroger l'humanisme rationaliste et le bien-fondé de sa décision. Des victimes de catastrophes historiques ont en effet pressenti dans les animaux d'autres victimes, comparables jusqu'à un certain point à eux-mêmes et aux leurs. »
— L'animal que donc je suis, Jacques Derrida.
Enfin, si Jacques Derrida conçoit la question de l'« animal » comme une réponse à la question du propre de l'« homme », il met ainsi en doute la capacité à ce dernier d'être en droit de se faire valoir toujours aux dépens de l'« animal », alors qu'il semble bien que ce réflexe conceptuel soit, par essence, un préjugé, et non le fruit d'un raisonnement philosophique garant de ce droit :
« Il ne s'agit pas seulement de demander si on a le droit de refuser tel ou tel pouvoir à l'animal (parole, raison, expérience de la mort, deuil, culture, institution, technique, vêtement, mensonge, feinte de la feinte, effacement de la trace, don, rire, pleur, respect, etc. – la liste est nécessairement indéfinie, et la plus puissante tradition philosophique dans laquelle nous vivons a refusé tout cela à l'« animal »), il s'agit aussi de se demander si ce qui s'appelle l'homme a le droit d'attribuer en toute rigueur à l'homme, de s'attribuer, donc, ce qu'il refuse à l'animal, et s'il en a jamais le concept pur, rigoureux, indivisible, en tant que tel. »
— L'animal que donc je suis (p. 185), Jacques Derrida.
La philosophe développe la nécessité philosophique d'un nouveau genre en son sein, « la philosophie animalière », considérant que si la question de l'« animal » a été fuie (ou ignorée) pendant des siècles par les philosophes, elle doit devenir centrale et incontournable, afin que le discours philosophique puisse encore se revendiquer du domaine de la pensée humaine :
« L'animal nous regarde et nous sommes nus devant lui. Et penser commence peut-être là. »
— L'animal que donc je suis (p. 50), Jacques Derrida.
Critiques et postérité [modifier]
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Réception américaine [modifier]
« Héros culturel » aux États-Unis selon Jean-Louis Hue du Magazine Littéraire, il a reçu 21 fois un doctorat Honoris causa, de plusieurs universités. Derrida déclarait avant sa mort au journal L'Humanité : « Je n'ai jamais fait de longs séjours aux États-Unis, le plus clair de mon temps ne se passe pas là-bas. Cela dit, la réception de mon travail y a été effectivement plus généreuse, plus attentive, j'y ai rencontré moins de censure, de barrages, de conflits qu'en France. »[18]. Son œuvre constitue l'un des piliers de la French Theory.
Derrida bénéficie d'une reconnaissance qui va au-delà du monde universitaire. Par exemple, le film de Woody Allen Deconstructing Harry (en 1997, traduit en français par Harry dans tous ses états) est une référence directe aux travaux de cet auteur — « référence » que Derrida jugera d'ailleurs pauvre et décevante au regard de la complexité de ce « concept ».
Philosophie analytique [modifier]
Derrida est un philosophe rejeté par la très grande partie de la tradition analytique. Ses premiers travaux de portée internationale sont vivement critiqués. Dans son essai sur le philosophe anglais John L. Austin et sa théorie des actes de langage[19], Derrida est accusé de s'entêter à énoncer d'évidentes contre-vérités, notamment par le philosophe américain John Searle[20] et d'autres[21]. Nombreux sont les philosophes qui se sont élevés contre le doctorat honoris causa que lui a décerné l'université de Cambridge en 1992, reprochant aux travaux de Derrida « leur inadéquation aux standards de clarté et de rigueur ».